Diapason, June 2007

“Comment est née votre affection pour la France?

‘C’est le pre-mier pays européen à m’avoir accueilli si chaleureusement. En 1983, j’ai dirigé Casse-Noisette de Tchaikovski à l’Opéra de Lyon ; l’année suivante, j’étais au Festival d’Aix-en-Provence pour La finta giardiniera de Mozart, où le public m’a vraiment découvert. En France, je me suis toujours senti soutenu. Et puis, en 1998, j’ai dit «Au revoir» àParis; mais j’y suis revenu dès l’an 2000, au cours d’une tournée européenne avec le WDR Sinfonie-orchester de Cologne, que je dirige depuis 1997.’

Vous parlez, là, d’un point de vue professionnel; car entre-temps, vous vous étiez installé à Paris.

‘Effectivement, lorsque j’ai pris la direction de l’Orchestre de Paris, en 1989, je me suis établi dans la capitale où j’ai fondé un foyer avec Marielle Labèque, mon épouse. Lorsqu’on fait partie d’une famille, on se sent mieux intégré dans la vie de la nation. Mais je ne passe pas ici autant de temps que je le souhaiterais.’

A la même époque, vous êtes devenu citoyen américain!

‘C’est un lien aussi fort que sentimental! J’ai quitté l’Union soviétique pour les Etats-Unis à vingt-deux ans. Là-bas, on m’a reçu, aidé et offert d’immenses possibilités artistiques. Lorsque cette citoyenneté m’a été accordée, devantt vingt-cinq mille per-sonnes, on m’a remis un télé-gramme du président Reagan di-sant : « Tant que des gens comme vous choisiront les Etats-Unis, ce pays restera un grand pays. Vous imaginez mon émotion ! Cela dit, je me sens aussi très européen : l’Europe a pétri mon cheminement artistique, et j’ai absolument besoin de cette nourriture.’

Quel souvenir gardez-vous de votre passage à l’Orchestre de Paris?

‘Celui de certains musiciens exceptionnels, comme Pascal Moraguès. Et la possibilité qui m’a été offerte d’approfondir ma connaissance de la musique française, qui ne faisait pas vraiment partie de mon paysage artistique. On dit, je ne sais pas pourquoi, que les Français ne sont pas musiciens, mais on oublie que c’est le pays de Berlioz et Du-tilleux ! S’il y a eu des tensions, elles sont oubliées; l’essentiel, c’est ce que nous avons pu ap-prendre ensemble.’

Aujourd’hui, vous revenez à l’Opéra de Paris avec Un bal masqué. Est-ce un choix de Gérard Mortier?

‘Oui, et j’ai accepté parce que c’est un ouvrage qui m’est familier, je l’ai déjà dirigé, entre autres, à Florence en 1995. C’est aussi la continuation d’une « époque Verdi » dans ma carrière, qui s’est ouverte avec Don Carlos à Turin en 2006 et se poursuivra avec Otello au Metropolitan de New York en 2008 avant un nouveau Don Carlos à Covent Garden en 2009.’

Pour la première fois, vous serez à la tête de l’Orchestre de l’Opéra de Paris!

‘Oui, j’ai dirigé Eugène Onéguine, Salomé et Parsifal au Châtelet, Elektra en concert à Pleyel, mais ne suis encore jamais entré dans la fosse de l’Opéra. Je connais cette formation en tant qu’auditeur, et j’en attends beaucoup car, dans Verdi, l’orchestre ne se contente pas de jouer un rôle d’accompagnateur : tous les éléments, voix, instruments sont intégrés dans un tissu extrêmement complexe.’

Vous aimez travailler avec des chanteurs?

‘Enormément. Certains ont davantage de musique en eux que bien des instrumentistes, ils savent dès le début que l’essentiel de leur métier consiste à rendre justice à quelqu’un d’autre : le compositeur.’”